On est lundi matin (sur ma planète), et tout commence le lundi : le régime, le nouveau
boulot, le patch Nicorette sur ton bras, les machines à laver et parfois, les emmerdes.
Pour commencer ce
business de dating online, je devais
me décrire avec l’objectivité d’une personne honnête, simple et intéressante.
Trouver une accroche, faire envie, sans faire pitié. Faut pas se leurrer, les
gens qui vont sur Internet pour draguer, sont un peu au bout du rouleau et il
est sage de garder à l’esprit ce
précepte afin d’éviter toute déception. C’est un peu comme jouer sa dernière
carte. Après ça, on se maque avec Frank Moreau, celui que personne ne veut,
parce qu’il nous arrive sous le bras et qu’il est gentil. On n’aime pas les
gentils.
Cette histoire de
profil m’a un peu retardé dans mon planning. Ça m’a pris un temps insensé et
j’en suis venue à me poser des tas de questions qui n’avaient jamais traversées
mon esprit avant.
Mes passions ?
Le cheval ? J’en ai fait pendant sept ans quand même.
Mon métier ?
J’en ai pas. Ou néant. Mais il fallait que je remplisse la case sinon, ça
laissait entendre que j’étais entretenue, glandeuse ou chômeuse. Ou que je ne
m’intéressais pas à grand-chose et là, on en revient à mes hobbies.
Mentir alors ?
Bah oui, merde ! Créer des mythes mais pas très éloignés de la vérité. Le
mystère. J’envoûte dès la lecture de mon profil, on veut me connaître et en
savoir plus. Je serai donc journaliste pour un magasine français (pas de nom.
Si on demande c’est du Elle ou du Vogue), sans enfant mais je les adore tous
autant qu’ils sont. Indépendante, drôle. Rigolote ? Amusante ? Non.
Qui aime rire ? Ou bon public ? Nan, ça fait la nunuche qui n’a pas
d’esprit. Bref, j’ai passé beaucoup de temps à fabriquer ce mystère.
La dernière case
était champ libre, exprimez-vous, j’ai donc dit :
J’aime la
simplicité, allons boire un coup et je vous dirai tout au deuxième verre. C’est
accrocheur non ? Les Anglais aiment les filles qui boivent, c’est donc de
bon goût d’en parler.
Etape numéro
deux : choisir une belle photo. Je voulais paraître sous mon meilleur jour
mais sans me révéler de trop. J’avais peur qu’on me reconnaisse dans la rue,
comme c’était arrivé à mon ami Mat. Je balance les noms. Hors de question qu’on
sache ce que je manigançais. C’était mon secret. Pas envie qu’on aille
rechercher mon profil pour me faire des blagues, que par exemple je me pointe pour un verre avec en fait cousin machin. Ou que Pip en ait vent.
J’ai choisi une
photo de trois quarts. On ne voit que le côté droit de ma tête et c’est
mystérieux. Ça peut donner envie aux gens de se déplacer pour vérifier le
mystère de l’autre côté. Un peu comme le mal et le bien. Le pile et le face ou
le Double-Face dans Batman. Analogies certes inadéquates pour rencontrer des
gens sain d’esprit, mais le thème choisi était le paradoxe : montrer sans
dévoiler. C’était ajouter une difficulté de plus à ma tâche certes, mais je ne
pouvais décemment pas mettre mes photos de vacances : le bikini n’était
pas mon atout cœur. Ni de famille : je suis sensée être indépendante et
sans enfants. Ni d’identité : on a pas le droit de sourire sur les
passeports, et je donne pas envie sans un petit sourire. Ni déguisée : je
n’en ai qu’une où je suis déguisée en papillon et j’ai vingt ans. Oui,
non ? J’ai fouiné un peu sur les autres profils de filles et j’en ai vu
pas mal déguisées en cow-boy (girls) ou en train de faire la fête un verre à la
main et l’air de vachement s’éclater, de n’avoir besoin de personne. Moi, je
dis à ces filles qu’elles feraient mieux de se faire des mecs sur place pendant
qu’elles dansent. Et de nous laisser, à nous, femmes en difficulté, l’espace de
rencontre-internet libre.
Là, je suis sûre,
vous vous dites que mes aptitudes sociales laissent à désirer. Qu’il faudrait
peut-être que j’envisage un premier appel gratuit à Josée Raymonda, coach de
vie - et masseuse les mardis - pour une évaluation et quelques conseils sur l’Autre
en général. Ça doit être le décalage horaire mais je vous répondrais :
solitude, abattement, Peter et Sloane et je fais ce que je peux !
Bon, une fois la
paperasse et les descriptions mystérieuses accomplies, c’est comme à La
Redoute, on feuillète et on fait son marché, sans s’éloigner du but : draguer, rencontrer des mecs
et j’aime ajouter, se faire des amis.
Alors, écrire à des
inconnus sans passer pour la correspondante de quatrième, ce n’est pas simple
non plus:
« Salut, ça va ? » Non. Un peu
nase. Comme si on s’était parlé la veille. S’il est sur ce site, c’est que ça
va moyen ou sinon il serait avec sa, ou ses, gonzesses à Chamonix (prononcé Chamoni) à boire son vin
chaud sur la terrasse de son chalet. D’ailleurs la photo de son profil les
montrerait en train de jouer à celui qui
descend le plus vite la piste noire a gagné son vin chaud à la cannelle et en a
dans le slip, viens le chercher il est sous la couette. Le vin chaud.
On évite aussi les
questions en rapport avec le pourquoi et le comment il est arrivé ici. Sinon, je
vais être obligée de faire pareil.
« Coucou, tu fais quoi ? »
Coucou ? Dans la vie ? Maintenant ? Mais ça fait trop la fille
qui veut savoir si le mec a une situation intéressante et de l’argent pour le
resto, non ?
« Bonjour, je m’appelle Marie me, j’ai vu que
tu aimais les… animaux. Hey, moi aussi!!». Equitation pendant sept ans.
Alors là, c’est assez osé, je dois dire. On va droit au but. On aime ou on
n’aime pas.
Vous
voyez, c’est pas évident ; tout ça en anglais of course, gros
cafouillage au niveau des codes, que peut-on dire ou pas dans ces situations,
je ne sais pas.
Alors au lieu
d’écrire, j’ai fermé les yeux en attendant qu’on m’écrive.
Et les messages
sont arrivés.
Mon premier flirt
virtuel se prénommait Nick. Pas mal physiquement (on s’attache vraiment à ce
genre de détails quand on est derrière son écran), prof et sympa. Prof mais
sympa ?
En papotant un peu,
il me dit qu’en fait, il n’a pas 35 ans comme il parait sur les photos mais 58.
Silence. Glurp.
J’avais pourtant
bien précisé dans mes recherches et dans mon profil que je ne prenais rien
au-dessus de 45 ans. Et que je commençais à partir de 24, pour voir.
Il m’expliqua que c'est parce qu'il
avait peur que ses élèves le reconnaissent qu'il avait sorti les vieilles photos de jeunesse.
Je l’ai complimenté sur la supercherie, dit que moi aussi
j’avais eu du mal à choisir une photo, et notre relation épistolaire a continué
comme elle avait commencé, glauque et ennuyeuse.
Tchao Nick au
suivant.
On aura compris que
chez moi, toute entreprise même petite, est laborieuse et qu’il faut vraiment
avoir la foi pour ne pas décrocher avant la fin. Mais je l’avais.
Enfin un Marie me digne de se nom , comme j aime ! Comique , espiègle, coquine, libérée...
RépondreSupprimerMerci belle inconnue!
RépondreSupprimer